Essayons d'identifier les grands axes d'évolution des jeux vidéo afin d'imaginer, et d'anticiper, ce que pourront être les jeux de demain.
Par un rendu graphique et sonore toujours plus poussé, en mettant à contribution aussi les trois autres sens (le toucher commence à être sollicité par les périphériques à retour de force, l'odorat et le goût restent en friche), l'illusion se parfait. Certains mondes virtuels restituent avec fidélité des territoires de superficie comparable à la Suisse. L'axe de progrès le plus prévisible pour le jeu vidéo est certainement sa capacité à reproduire le réel, ou à proposer des univers alternatifs avec une grande qualité d'immersion.
En fournissant un espace de liberté, des outils adaptés et des circonstances ludiques qui s'y prêtent, les jeux semblent faire éclore un nouveau mode de sociabilité, un nouveau rapport à l'autre : fédérées autour de libres communautés, déclinées sous forme de groupes, équipes, vassalités, guildes, clans, ces organisations collectives, parfois spontanées voire même non prévues par les concepteurs du jeu (exemple des forums) proposent une nouvelle réalisation de lien social.
Au point que certains participants à des mondes virtuels permanents se connectent plus pour communiquer avec leurs connaissances, rencontrées par l'entremise du jeu, que pour pratiquer le jeu en lui-même. Le comportement d'un sujet lors d'une session de jeu étant le reflet, même déformé, de sa personnalité, des amitiés se créent et parfois se poursuivent dans le monde réel. Le jeu vidéo, loin d'être une barrière voire un phénomène autistique comme certains le prétendent, est dans ce cas l'exact opposé : un vecteur nouveau de socialisation, permettant la formation de nouvelles tribus par la magie des électrons.
L'informatique généraliste est en train de négocier à grande peine un virage que le jeu vidéo ne semble pas vouloir prendre. L'avénement des logiciels libres remet profondément en cause la proposition de valeur que font nombre d'éditeurs de logiciels, mais ceux qui sévissent dans le domaine ludique n'ont, semble-t-il, pas pris la mesure du risque ou de l'opportunité que constitue pour eux l'open-source. De bonnes raisons expliquent cette nonchalance : d'une part les investissements extrêmement lourds nécessités par la création d'un jeu vidéo les protègent de la concurrence des amateurs, d'autre part la modification du modèle économique ayant le vent en poupe (de la vente de produits, les jeux en boîte, à la vente de services, les jeux en ligne) leur laisse augurer une position d'autant plus confortable qu'elle devrait faire reculer leur grande plaie endémique, le piratage.
Mais si le partage de connaissances et leur libre diffusion tenaient leurs promesses, alors il existerait peut-être enfin, pour les utilisateurs finaux, le moyen de passer de spectateur à acteur, c'est-à-dire de ne plus uniquement consommer les jeux, mais aussi de participer à leur élaboration.
Cette possibilité, qui leur était ouverte aux débuts de l'informatique, a progressivement reflué sous l'effet du niveau de technicité croissant que la création de jeu a exigé. Maintenant, il semblerait que le mouvement de balancier s'inverse : les communautés de joueurs prennent de plus en plus part à la réalisation des jeux (depuis les bêta-tests préliminaires jusqu'à l'animation du jeu tout du long de sa vie commerciale), les mods (variations et réécritures autour d'un jeu) pullulent et, plus encore, beaucoup d'ingrédients nécessaires à la réalisation de jeux sont en train d'être disponibles sous forme libre. Cela inclut les moteurs de jeu bien entendu (grâce à des bibliothèques open source, au nombre desquelles figure OSDL !), mais aussi tous les outils nécessaires (modeleurs, logiciels de dessins, etc.), le contenu en lui-même (images et sons, diffusées sous des licences libres) et même les histoires, scénarios et règle de jeu. Il n'est pas dit que la mayonnaise prenne pour le jeu libre, en tout cas ses ingrédients apparaissent un à un.
L'augmentation des parts de marché captées par le jeu vidéo a modifié la nature même des flux financiers : auparavant, les joueurs achetaient le droit de jouer comme on recourt à une prestation sans espoir de contrepartie. De nouvelles formes d'échanges se dessinent : des personnages, développés à force de talent et de temps, ont déjà acquis une valeur marchande, que l'on peut quantifier grâce à des transactions déjà effectuées sur sites d'enchères sur Internet. Des joueurs fortunés, en consentant à acheter avec de l'argent de la vie réelle des artefacts virtuels (personnages, mais aussi armes et objets magiques, qui pour certains disposaient eux-mêmes d'une quotation dans le monde virtuel), ont permis pour la première fois d'établir le cours en argent réel d'une monnaie purement virtuelle ! Un exemple en est le Gaming Open Market, une organisation dédiée au change des monnaies virtuelles, ou IGE, une entreprise sulfureuse ouvrant des seconds marchés d'échange de monnaies et de propriétés virtuelles s'échangeant contre de vrais dollars, dédiés aux principaux MMORPG.
Plusieurs exploitants de mondes virtuels (ex : EverQuest, Blizzard pour World Of Warcraft) luttent vigoureusement contre la conversion d'éléments de leurs jeux en argent réel, notamment en l'interdisant explicitement dans leur licence d'utilisation (Terms of use). Les joueurs les plus acharnés regrettent cet interdit, mais le cas BlackSnow explique peut-être le dilemme rencontré. Backsnow était une petite mais profitable entreprise dont le modèle économique fut d'employer des ouvriers Mexicains non qualifiés pour qu'ils passent leur temps à faire progresser des personnages de jeux en ligne. Le but poursuivi était de revendre avec forte plus-value ces personnages, développés jusqu'à atteindre un très haut niveau, sur des sites de vente aux enchères, pour le compte de joueurs fortunés et ne souhaitant pas faire les efforts nécessaires pour faire progresser leur propre personnage.
Le procès confrontant l'exploitant du monde en question (Mythic Entertainment, producteur de Dark Age of Camelot) et BlackSnow a obligé la justice à se pencher sur une question épineuse, philosophique dans une certaine mesure : qui possède les produits de l'économie des jeux virtuels, en l'occurrence des personnages suffisamment développés pour avoir une valeur marchande non négligeable ? Est-ce l'entreprise exploitant le jeu (développeur ? producteur ? exploitant ?), ou le joueur ayant payé pour jouir d'un compte et le faire fructifier ? Le rapport entre temps passé et développement du personnage (si l'on fait abstraction du talent du joueur) amène à une deuxième question : qui possède le temps passé par le joueur sur le jeu ?
Sur ce sujet, les joueurs sont encore divisés entre l'injustice que les ventes occasionnent (mérite versus argent), la conscience que dans tous les cas, le joueur "riche" de ressources (temps et/ou argent) sera inévitablement favorisé, et le constat que cette richesse est plus créée par les centaines d'heures passées par un joueur talentueux que par un exploitant de jeu.
Du côté des éditeurs, la division règne aussi. Sony est partisan de la ligne dure, et bannit le commmerce réel d'objets virtuels. Microsoft s'en arrange, et en profite pour percevoir une taxe sur les transferts de compte à Asheron's Call , c'est-à-dire sur les échanges de personnages. Origin (filiale d'Electronic Arts, exploitant Ultima Online) vend elle-même des personnages (directement générés tels quels) de différents niveaux. MindArk, avec son Project Entropia, pourrait emporter la palme en proposant un jeu sans coût d'abonnement mais dans lequel la monnaie utilisée est... le vrai dollar !
Les cas similaires d'intrusion du monde virtuel dans le réel se multiplient, tels ces jeux qui vous envoient des SMS quand votre base est attaquée.
Certains joueurs, aptes par le jeu à remporter des biens de valeur, envisagent de trouver dans la vente de leurs gains des ressources pérennes et suffisantes pour en faire leur moyen de subsistance principal, leur métier. De la même manière, les dotations sans cesse augmentées des compétitions, certaines devenant mondiales ou de grande importance, comme en Corée du Sud, semblent pouvoir aboutir à l'avénement de joueurs professionnels.
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